La 15-Six est chez Citroën un haut de gamme qui ne voulait pas vraiment dire son nom. Elle n’est en fait qu’une nouvelle déclinaison de la Traction Avant lancée en 1934 par la firme du quai de Javel. Car après l’éviction d’André Citroën lui-même, la marque se retrouve sous la coupe d’une nouvelle administration réputée pour son sérieux en matière de budget, la société Michelin qui n’est rien d’autre qu’un des créanciers de Citroën. Le manufacturier de pneumatiques va alors tout faire pour sauver le constructeur au bord du gouffre.
Rien ne sert de courir, il faut partir à point…
La Traction Avant a beau être devenue depuis longtemps un mythe, on en oublie que ses premiers tours de roues ont été un véritable calvaire. Trop hâtivement commercialisées avant d’être véritablement au point, les premières Traction trimbalent leur lot de pannes et de casses. Citroën prend bien sûr à sa charge ces déboires mais cela ne fait que vider davantage les caisses d’une société exsangue. Tout le monde sait pourtant que la recette de la Traction Avant (carrosserie monocoque surbaissée, traction avant, freinage hydraulique sur les quatre roues, moteur culbuté de ” nouvelle génération”) est la bonne. André Lefebvre, l’ingénieur charge de son développement le sait… Flaminio Bertoni, qui a dessiné la ligne aérodynamique de la Traction le sait… Et Michelin le sait… En fait, il n’y a pas d’autres modèles chez ce constructeur, si ce n’est la Rosalie qui est produite jusqu’en 1938. Il faut donc poursuivre le développement de cette moderne berline qui une fois fiabilisée vers 1936, va devenir une gamme à elle seule. Après les “7” et les populaires “11”, Citroën réfléchit à un très haut de gamme à moteur V8 qui ne verra jamais le jour, faute d’argent. En revanche, un modèle à moteur 6-cylindres semble réalisable. Ce sera la “15-Six”.
La reine de la route
Produite à partir de 1938, cette nouvelle berline est techniquement assez simple puisqu’elle reprend le moteur des “11” mais avec 2-cylindres supplémentaires. Cette mécanique de 2 867 cm3 et 77 ch logé dans une carrosserie de 11BL permet à la berline de devenir la Reine de la route puis la caisse préférée de la Gestapo et de la Résistance pendant les années de guerre. Bien finie et performante, la “15-Six” est à nouveau produite à partir de 1947 (aux côtés des “11”) en trois variantes (carrosserie berline, conduite intérieure rallongé et familiale) mais cette fois, le sens de rotation du moteur est inversée : il tourne désormais à droite (d’où l’appellation “15-Six D”, les anciens modèles étant rétrospectivement renommés “15-Six G”). C’est aussi à cette époque que Citroën a enfin élargi son offre à un modèle d’entrée de gamme qui va faire date, la 2CV.
Une recette éprouvée
En attendant la “15-Six” coule à nouveau des jours heureux. Pas frimeuse mais de bon goût, confortable et rapide (135 km/ tout de même), elle n’est pas non plus hors de prix par rapport à des concurrentes de chez Delage, Delahaye ou Hotchkiss certes plus luxueuses mais inaccessibles côté porte-monnaie. De fait, le moteur 6-cylindres est chez Citroën largement rentabilisé car il équipe aussi une gamme de camions et d’autocars qui sont largement diffusé dans l’Hexagone. Et oui, Citroën a longtemps été un important constructeur d’utilitaires ! Et puis la Traction Avant est un modèle éprouvé, elle est la voiture des ministres, des notables, des familles aisées et des entrepreneurs qui font la France de l’après-guerre. Par ailleurs, la Citroën est épaulée par un réseau de concessionnaires qui connaissent bien la bête… En 1954, la voiture hérite sur les modèles “15-6 H” d’une suspension arrière oléopneumatique, une façon de valider l’une des techniques utilisées sur la nouvelle DS commercialisée un an plus tard. Si c’est donc bien la DS qui met un terme à la carrière de la Traction Avant, celle-ci est produite jusqu’en 1957. La fiabilité légendaire de cette voiture lui a aussi permis de faire une honorable carrière en seconde main jusque dans les années 1960 et elle est aujourd’hui encore, très prisée en collection, sa robustesse et ses performances correctes lui permettant d’affronter sereinement le XXIe siècle.